Inquiétudes

Note bien que le TLF mentionne que «rassurer quelquechose» est une forme seulement utilisée par métonymie, un abus de langage. Certains abus sont très communs et populaires (comme «boire un verre», étant donné que ce n'est pas le verre qu'on boit mais son contenu) mais toute métonymie est un raccourci faisant une confusion (entre cause et effet, agent et objet, objet réel et figuré comme dans «il pleut des cordes»). Quand c'est très peu commun, c'est une forme très étrange qui peut susciter des interrogations sur le sens même de la phrase, comme s'ils manquaient des mots nécessaires pour comprendre le sens réel. C'est alors toujours une source d'ambiguïté et ça ne veut plus rien dire quand les sens peuvent facilement partir dans tous les sens. Les références trouvées du TLF ne mentionnent cependant pas «rassurer une/des inquiétudes», mais avec d'autres objets qu'il est possible de «personnifier», comme si cette personne le demandait ou l'espérait. Une «inquiétude» peut difficilement être personnifiée, en elle-même elle n'est qu'un constat d'un état qui ne demande rien et va dans la direction opposée de celle de «rassurer», en somme on affirmerait dans la même phrase un sens et son contraire, ce qui donc ne signifie plus rien ou n'apporte plus rien et qu'on ne peut donc interpréter que dans toutes sortes de directions.

On trouve peut-être un unique exemple (vieilli) chez un auteur mais la métonymie n'est pas claire et en fait ne correspond même pas vraiment à la définition donnée de la métonymie d'objet, car pour moi cet auteur fait une métonymie de sujet (qui est inquiété: l'auteur Druond sous-entend qu'il y a des personnes proches sur place qui assistent à la scène, il ne les cite pas justement pour donner une atmosphère étrange et plutôt justement renforcer la sensation pesante d'inquiétude qu'il ne balaye pas du tout, en somme personne n'est vraiment rassuré, tout le monde, l'auteur compris comme si c'était un acteur de la scène, fait semblant et ne veut pas se montrer affecté et voudrait s'afficher fièrement comme rassuré, tout en sachant ou se doutant que personne ne l'est).

Les autres usages consistent à éviter de désigner directement le sujet, comme par retenue ou politesse, contre une accusation ad hominem qui pourrait être vue comme dégradante, on commence par désigner un autre état d'esprit puis on l'attribut indirectement à des personnes informellement désignée et pour laquelle on ne veut pas affirmer qu'elles sont inquiètes ou ont besoin d'être rassurée, comme si on voulait préserver leur fierté publique. "rassurer complètement la chasteté effarouchée du lecteur", évidemment il y a là déjà une attaque du lecteur, mais en plus si l'auteur ajoutait que le lecteur a en plus besoin d'être rassuré, l'auteur mépriserait son lecteur ou lui ferait un double affront

Autant dire que l'auteur veut ne pas les offusquer (ce n'est pas le cas aujourd'hui quand on entend une phrase aussi stupide que "je veux rassurer mes lecteurs en leur disant que je", où l'auteur s'approprie le libre cours des lecteurs et le droit de penser par eux-mêmes et leur ordonne presque de suivre les idées aveuglément, et souvent cette formule cache le manque d'arguments tangibles et vérifiables en dehors, l'auteur se fait proclamer comme autorité sur la conscience des autres, il ferme la porte à la réflexion personnelle et à l'évaluation ou la confrontation à d'autres avis extérieurs).

Bref toutes ces métonymies sont à éviter dans une traduction (d'autant plus que la grande majorité des métonymies n'ont pas d'équivalent dans les autres langues, on ne doit pas traduire mot pour mot et les introduire, même si elles sont consacrées dans la langue source et pas la languie cible ou le contraire, sauf si l'usage est consacré et bien établi dans les deux langues), elles n'aident certainement pas à clarifier le discours. On peut dire "il pleut des cordes" ou "il pleut des hallebardes" ou "il pleut comme vache qui pisse" en français, mais en anglais le mot à mot ne marche pas.

Notre président Macron ne se prive pas en français de prononcer des phrases intraduisibles à l'étranger, comme lors de sa récente visite en Chine, histoire de bien gêner ses hôtes chinois (ceci dit le président chinois a lui aussi trouvé quelques formules chinoises tout aussi savoureuses, impossibles à traduire: ce sont des pics de langages masqués qui évitent en fait des incidents diplomatiques puisqu'on est sûr que ceux qui comprennent ne sont pas ceux que la phrase désignait bien, ça sélectionne un auditoire et c'est donc une opération de communication publique extérieure, indirectement ça cherche à isoler celui qui ne comprend pas pour qu'il hésite sur la réponse à apporter, ces artifices de langages cherchent donc à déstabiliser et affirmer une autorité supérieure face à celui qui ne sait comment comprendre et répondre)

Autant que possible on évitera ces confusions sujet/objet, fait/cause, cas particulier/généralité... sinon on a des raisonnement absurdes ("tous les hommes sont égaux, les femmes sont égales aux hommes, donc tous les hommes sont des femmes"). D'une façon ou d'une autre cela sert à limiter l'auditoire et ça déforme le sens et la portée et cela cherche à modifier le rapport de force entre celui qui dit, écrit ou traduit, et ceux qui les écoutent ou les lisent.

Verdy p (talk)21:02, 12 November 2019